Isidore, ou l'ombre de Godric Black

Pour pratiquement tout Poudlard, Isidore A. Hepburn est un garçon. Il mesure un mètre quatre-vingt, possède des cheveux bruns mi-longs et légèrement ondulés, des yeux marrons clairs (qui paraissent verts lorsqu’il y a du soleil et qu’on y prête attention) et il chausse du 44. En tout et pour tout.
Mais pour savoir qui est vraiment Isidore, il faut savoir d’où il vient, car personne ne le connait véritablement.
 
Isidore est né le 23 juin 1982, soit neuf mois après le 12 septembre 1981. Sa mère, Helen, est la sœur cadette de Sony Hepburn et la fille de deux sorciers aimants. Leur famille est l’image même de la famille sorcière modèle, à quelques détails près : Sony est la préférée, Sony est une Cracmole, mais Sony reste la préférée malgré tout. Alors pour Helen, les choses ne peuvent pas aller bien. Depuis toujours, elle abrite en elle tout le ressentiment à l’égard de sa sœur que sa famille n’a pas, elle la déteste pour trois. Et si elle pensait qu’entrer à Poudlard permettrait à ses parents de s’intéresser à elle, de l’aimer et peut-être même de l’admirer pour ses véritables talents (on parle de Magie et pas de danse, de tricot ou de chant, qui sont les seuls talents que peut avoir Sony) il s’avère qu’elle se trompe lourdement. La jeune fille est répartie à Serpentard, et apprend les valeurs des sangs-purs. Elle adhère à leurs idées et dissimule l’existence de sa sœur Cracmole afin de ne pas ternir l’image de sa famille. Elle met également en place de nombreuses astuces afin de faire croire à la fortune des Hepburn. Fortune presque inexistante, ou du moins pas destinée à Helen, puisqu’elle apprend que sa sœur a été dotée -bien qu'elle n'ait aucun prétendant- et que leurs parents lui ont également acheté un appartement non loin d’où elle travaille comme serveuse (travail qu’ils lui ont également trouvé).
Encore une injustice, mais Helen ne les compte plus. Elle est désormais bien décidée à se battre avec ses propres armes, à trouver un mari qui lui permettra de rejoindre une des plus nobles familles du pays. Une fois qu’elle sortira de Poudlard elle pourra trouver l’époux qui la sortira de cette misère.
Malheureusement pour elle lorsqu’elle sort de Poudlard, elle retourne dans la demeure familiale. Demeure peu élégante à son gout et loin de faire briller le rang des Hepburn, ce qui ralentit ses recherches de galants. L’équilibre précaire dans cette famille vole en éclat, le jour où Sony vient déjeuner chez ses parents. Dimanche 12 septembre. Cela aurait pu être un dimanche familial ennuyeux à mourir, comme tous les précédents. Mais c’est ce jour-là que la Sainte-Cracmole annonce être enceinte. De Sirius Black.
Helen est incapable de ressentir ou même de tolérer la joie de ses parents. Elle dévisage sa sœur longuement, et sent son cœur se consumer par la rage. Une rage tellement puissante qu’elle est prête à tout en cet instant. Comment sa sœur, une Cracmole inutile et indigne de porter le nom des Hepburn peut-elle s’acoquiner avec l’héritier des Black ? Le plus pur des sangs avec une immondice de la société.
Ce jour-là, Helen fuit. Sa baguette en main elle enchaine les sorts avec une violence effroyable sans se préoccuper des personnes touchées, du mobilier détruit ou de quoi que ce soit. Elle prend ses affaires et se fond dans la nuit, savourant l’oubli apporté par l’alcool, s’appropriant les bras d’un inconnu, délaissant sa dignité, livrant sa virginité à un homme affamé, confondant les jours et les nuits, n’étant plus que désir incandescent, fureur et jouissance. Ce soir-là, ou l’un des jours qui suivirent le 12 septembre, quelque part à Londres, Isidore est conçu.
 
Suite à cet écart de conduite, les choses auraient pu rentrer dans un ordre acceptable, s’il n’était pas apparu qu’Helen était également enceinte. De qui, elle n’en savait rien. Mais ses parents acceptèrent de l’aider, puisqu’elle n’avait aucun travail –les femmes de son époque n’étaient pas supposées travailler, voyez-vous- et lui achètent un manoir à moitié en ruine dans la périphérie londonienne. C’est dans un taudis qu’elle arrive. Après de nombreux sorts et une étude plus poussée de la décoration magique, que son domicile devient un fringant manoir aux allures de maisons de sang-purs. Et pour vivre, non pas dans l’oisiveté, mais correctement, elle fait jouer ses relations et devient ce que les moldus appellent une call-girl. Une femme qui se fait payer pour tenir compagnie aux riches sorciers, que ce soit pour avoir simplement un peu de compagnie ou pour avoir des rapports un peu plus intimes. Et aussi surprenant que celui puisse paraitre, personne n’a jamais fait le lien entre Ivy, la sulfureuse sorcière aux talents multiples, et Helen Hepburn, la mère célibataire. Personne sauf son, qui se garde bien de le lui avouer.
 
Alors pour comprendre qui est Isidore, il suffit d’imaginer la vie de cet enfant indésiré.
Asmodée de son deuxième prénom, le démon de la colère, celui qui fait mourir. Ce nom est son destin. Et un clin d’œil furieux à Sony et son fils. Isidore n’a échappé que de justesse au prénom de Salazar, mais l’intention demeure : il n’a pas d’existence intrinsèque. Il n’est que la réponse à la jalousie de sa mère, sa vie n’est pas destinée à être.
Isidore en a conscience, trop tôt. Il n’est que l’outil qui permet d’offrir à sa mère une revanche face à sa tante. Cette tante qu’il hait et méprise par extension.
Sa mère lui a enseigné à accepter la solitude pour devenir un mystère aux yeux de tous. Un mystère tellement épais que lui-même se sait incapable de se cerner. Il a appris à dissimuler ses émotions, à étouffer ses sentiments et à manipuler. Ce n’est pas qui il est, mais ce que sa mère veut qu’il soit. Alors il fait, il ne pose pas de questions et se détache de ce monde qui lui semble sans grand intérêt.
Son âme lui semble parfois tellement éthérée qu’elle pourrait disparaitre sous les caresses du vent. Mais son cousin l’en empêche. Godric Sirius Lucifer. Luci comme il s’amuse à l’appeler lorsqu’aucun adulte n’est dans les parages, savourant ses joues qui se colorent de rouge sous l’effet de la colère. Une créature tellement énergique et pleine de joie de vivre, surement semblable à sa mère et tellement différente de lui. Ils sont comme l’ombre et la lumière, Godric étant un véritable soleil alors qu’il est son trou noir. Leur amitié est bâtie sur la jalousie et la haine de leurs mères, ou du moins de celle d’Hellen. Ce n’est pas une amitié forte ni un lien indestructible, mais il est aussi ténu que le murmure du vent, leur chuchotant que l’un ne peut exister sans l’autre. La vérité, c’est qu’Isidore ne peut exister sans Godric.
Et lui, il a appris à exister pour ce cousin. Il est l’unique personne à savoir qui est Isidore. À l’approcher parfois, ne serait-ce que pour lui dire qu’il a gagné son math de Quidditch et qu’il rembarre avec un « En quoi ça devrait m’intéresser ? ». Sans qu’Isidore n’en comprenne le pourquoi, Godric continue d’essayer de le rendre plus humain, plus comme lui, et au fond de lui, vraiment tout au fond, il lui en est reconnaissant.
 
À Poudlard, les choses n’ont pas vraiment évoluées. Isidore était habitué à la solitude et tellement détachée de tout que le choipeau a bien hésité au moment de la répartir. Pas assez d’envie d’exister pour être à Serpentard ou Gryffondor, insignifiant, sans ambition ni courage. Aucune intension de loyauté ni même d’avoir ne serait-ce qu’un ami, alors il ne restait plus que Serdaigle, malgré ses capacités particulièrement communes. Il est probablement le plus idiot des Serdaigles. Vaguement curieux et toujours plongé dans ses pensées.
 
Les années sont passées. La bataille de Poudlard a eu lieu. Isidore s’est retrouvée vingt ans plus tôt.
Mais fidèle à son crédo, il n’a pas cherché à se faire remarquer. Il est resté en retrait, à attendre que le trio d’or, ou tout abruti responsable de ce voyage hautement indésiré dans le temps, rectifie les choses. Mais le temps est également passé alors il a fini par travailler pour réviser ses cours en ne faisant que le strict minimum. Toute à son introspection permanente il s’est découvert une passion pour le dessin. Ces instants où son esprit cesse finalement d’exister, où il n’est plus que fusain, à noircir une feuille dans de folles arabesques.