Dorea ♠ chaque douleur est une mémoire

« Qu’est ce que c’est moche un bébé, regarde père, elle est toute fripée. » L’ainé de la fratrie Flint était à peine âgé de six ans qu’il commençait déjà à développer un sens accru du sarcasme et de la méchanceté. La famille Flint était l’une des familles de sang-purs les plus reconnues et les plus redoutées. Bénédiction ou véritable fardeau pour la petite Dorea ? Profondément endormie dans son berceau, elle n’imaginait pas ce que lui réserverait la vie.

Troisième et dernière enfant de la famille Flint, elle comprit très tôt qu’elle était vouée à vivre dans l’ombre de ses deux frères. Celui qu’elle redoutait le plus était son ainé, dédaigneux et fier, mis sur un piédestal par des parents heureux de montrer au monde leur héritier. Dotés de caractères situés aux antipodes, les cris et protestations des deux enfants étaient monnaie courante dans le Manoir des Flint. Bien entendu, Dorea n’obtenait jamais gain de cause et se sentait rejetée, particulièrement aux yeux de sa mère qui n’avait à la bouche que le nom de ses deux fils. Elle méprisait cette femme autant que les rats d’égouts mais renfermait sa colère en elle, sans être consciente qu’elle exploserait un jour. La jeune fille était plus proche de son père et appréciait sa présence. D’ailleurs, elle hérita de sa détermination et de son intelligence. Tous deux partageaient un goût avisé pour les énigmes et Dorea pouvait passer des heures à en chercher la solution. Le patriarche lui inculqua des valeurs telles que la supériorité des sang-purs, le mépris des familles n’en faisant pas partie et surtout la grandeur. La jeune enfant admirait son père et souhaitait sincèrement en être sa fierté.

Elle emprunta le bon chemin lorsqu’elle agrandit les rangs des Serpentard à son arrivée à Poudlard. Mais même lors de cette soirée de répartition, soirée dédiée aux premières années, son frère aîné s’octroya la place principale en vantant les mérites de l’éducation des Flint ainsi que leurs valeurs. Au cours de ses années à Poudlard, la personnalité sombre de Dorea se développa. Impassible aux sentiments éprouvés par un être humain mais assez intelligente pour les utiliser, elle effrayait parfois ses camarades. Manipulatrice et brillante, elle traça sa voie et fut nommée préfet des Serpentard en cinquième année. À la fois crainte et admirée, cette responsabilité fit naitre en elle le goût du pouvoir. Lors de sa sortie de Poudlard, elle choisit une formation en Droit sur les conseils de son père. Il est vrai que cette voie semblait toute tracée pour elle, la jeune Flint faisant preuve d’un esprit d’analyse assez fin et d’un talent d’orateur. Épanouie au sein de la Diamond House, elle ne fit aucun faux-pas au cours de sa scolarité, son objectif étant clair : être la plus jeune membre du magenmagot. D’un naturel solitaire, elle ne participait pas vraiment aux fêtes organisées par les autres élèves, préférant se consacrer à sa future carrière. Bien entendu elle eut quelques amis mais ces derniers préféraient conserver une certaine distance, Dorea ayant démontré à plusieurs reprises qu’elle n’avait aucun état d’âme à écraser les personnes se trouvant sur son chemin, y-compris ses propres amis. N’était-ce pas un comble pour cette jeune femme qui manquait cruellement d’entourage dans son enfance ?

Lorsque Dorea fut âgée de vingt années, son père lui annonça qu’il était temps pour elle de se marier. La jeune femme esquissa un sourire résigné, elle s’étonnait de ne pas avoir subi cette conversation plus tôt en vérité. Cette idée de mariage contrariait ses plans car elle ne pourrait pas se concentrer autant sur ses études comme elle le faisait jusqu’à maintenant. « Qui as-tu choisi ? » La question était fatidique. Elle ne doutait pas que le patriarche lui ait trouvé un fiancé digne de son rang mais elle souhaitait tout de même en connaitre l’identité. « Guilherme Carlton. Il est plus âgé que toi je le reconnais mais il est un fonctionnaire du ministère très prometteur. Je ne doute pas qu’il soit à ta hauteur et que vous accomplissiez de grandes choses tous les deux. » Bien qu’il soit de dix ans son aîné, Dorea ne mit aucune réserve. Après tout, elle préférait un homme plus mûr qui partageait ses ambitions plutôt qu’un garçon de son âge qui ne pensait qu’à s’amuser. L’alliance entre les deux familles fut scellée au cours de la vingt-deuxième année de Dorea. Les deux jeunes mariés s’entendaient à merveille, tous deux avides de gloire et de grandeur. Au cœur de leurs plus sombres rêves, ils s’imaginaient tous deux tenant d’une main de fer le Ministère, lui étant Ministre de la Magie et elle Présidente du Magenmagot. D’un commun accord, ils décidèrent donc de privilégier leurs carrières respectives avant de fonder leur famille.

Quelques années plus tard, Dorea atteignit des sommets. Elle était brillante et reconnue comme une excellente juriste au sein du Magenmagot. Son sens de l’analyse avisé en faisait d’elle quelqu’un de redoutable et de redouté. Elle avait la faculté de savoir lorsque les gens lui mentaient bien que n’étant pas legilimens. À maintes reprises elle avait permis d’éclaircir une situation au cours d’un procès, le dénouement n’étant pas toujours celui auquel on pouvait s’attendre. En somme, elle était considérée comme une excellente recrue. Ce fut dans ce cadre que son second frère devint père d’un petit garçon dont Dorea fut nommée marraine. Cette naissance apporta beaucoup de lumière au sein de la famille Flint. Ses parents étaient ravis de voir que leur nom pourrait perpétuer à travers le temps. La jeune femme se plut à cajoler son filleul et se découvrit un plaisir à être en la compagnie du bébé. Une année plus tard, son frère aîné devint lui aussi père d’une petite fille, tout aussi attachante que son cousin. Malgré des relations tendues avec son aîné, elle ne manquait pas une occasion de gâter cette petite princesse. Ce fut au cours de cette année, à vingt-sept ans, que Dorea tomba enceinte et mit au monde un petit garçon. La maternité lui allait à ravir et son petit Caleb la comblait. Il était si petit et semblait si fort à la fois, le couple tomba littéralement sous son charme. Cependant, en grandissant, le petit garçon démontra un fort tempérament qui évoqua à la jeune maman celui de son frère aîné au même âge. Mais malgré tous ses efforts, Dorea ne parvenait pas à tenir tête à son fils, il faisait ce qu’il voulait de sa mère et il en avait conscience. Cette femme forte, froide et implacable avait donc une faiblesse : son fils. Ce petit être était en train de réaliser ce que personne n’avait su faire jusqu’à présent, il faisait ressortir chez sa mère de l’humanité et surtout de l’amour.

Le temps avait passé et Caleb était désormais un sorcier. Il avait reçu une lettre de Poudlard l’invitant pour sa première rentrée des classes. Quelle heureuse nouvelle, le garçon était ravi ! Mais l’enthousiasme ne gagna pas sa mère. Elle savait que ce jour arriverait. Elle savait qu’un jour, son protégé lui échapperait et que son père en prendrait possession. Telle était la tradition chez les familles de Sang-Pur. Guilherme ne perdit pas son temps. Il commença par transmettre les valeurs de l’illustre maison Serpentard à son fils en lui répétant qu’il n’aurait d’autre choix que de passer par là. Puis peu à peu il instaura une atmosphère assez pesante sur les épaules du garçon pour le pousser au meilleur. Il est vrai que Dorea partageait les mêmes convictions que son mari en terme de grandeur mais Caleb n’était pas en âge de comprendre cela. Elle fit part de son ressenti à son époux mais il refusa de l’entendre et se montra particulièrement infâme à son égard en déclarant que si elle ne respectait pas son éducation, il la priverait de son fils. Dès lors, elle n’eut d’autre choix que de se plier aux volontés de ce mari violent et aveuglé par la fierté.

Dorea était de plus en plus perdue au milieu des convictions qu’elle s’était forgée tout au long de sa vie. L’attitude de son mari, l’amour qu’elle portait à son fils et son travail lui ouvraient peu à peu les yeux. Cela faisait quelques temps qu’elle jugeait de plus en plus d’affaires concernant des « désaccords » entre des familles de Sang-Pur et les autres. Elle avait toujours été persuadée que l’équilibre du monde était préservé grâce à la force et la domination des familles de Sang-Pur mais elle s’interrogeait fortement sur la véracité de cette conviction en constatant que ces familles-là en arrivaient à attaquer d’autres sorciers pour assurer leur suprématie. N’étaient-ils pas en train de perturber cet équilibre ?

Puis un jour, une affaire fit vaciller cette femme, pourtant si forte de ses convictions. Une jeune femme issue de la brigade policière du ministère vint frapper à la porte de son bureau. Celle-ci avait l’habitude de côtoyer Dorea mais elles ne s’aimaient pas, la brigadière n’estimant guère les familles de Sang-Pur. Elle posa sur son bureau une série de documents en se vantant qu’elle était en possession exclusive de preuves pour faire emprisonner à Azkaban plusieurs Sang-Purs. Cette jeune sorcière se pavanait et la juriste n’appréciait pas cela. Elle inspecta donc cette liasse de documents qui présentaient une attaque meurtrière contre une famille de Sang-Mêlé. Cette famille était composée d’une moldue, de son mari sorcier et de leur petit garçon, encore en bas âge. Ce père de famille, Dorea l’avait bien connu à Poudlard car il avait été préfet de Serpentard en même temps qu’elle. Il était issu d’une famille de Sang-Pur mais s’était rebellé très tôt en prenant pour épouse une moldue. Cependant, ce ne fut pas cette proximité avec la victime qui la choqua mais plutôt la lecture des autres documents qui attestaient que la famille avait été décimée en entier. Ce pauvre petit garçon ! Un éclair fusa alors dans les yeux de Dorea lorsqu’elle découvrit que son père figurait dans la liste plausible des personnes ayant organisé ce massacre. La jeune sorcière faisant partie de la brigade magique savoura ce moment avant de tourner les talons. La juriste était encore sous le choc. Comment son père pouvait-il être mêlé à cette histoire ? Au fond d’elle, Dorea savait qu’il avait toujours été assez obscur pour être mangemort mais elle n’en avait jamais eu la preuve. Elle l’admirait tant… Avec détermination, la jeune femme transplana dans le bureau de celle qui lui avait transmis ces documents et attendit patiemment son arrivée, cachée dans un recoin de la pièce. Cette idiote s’était targuée d’avoir l’exclusivité de l’information, elle n’en avait donc parlé à personne, espérant sans doute s’attribuer la reconnaissance de ses collègues. Elle allait payer cher cette erreur. À peine lorsqu’elle fut entrée dans le bureau, Dorea ferma la porte et dirigea sa baguette vers la jeune brigadière. « Oubliettes ». Puis elle prit soigneusement les documents compromettants contre son père avant de disparaitre. Il n’y avait aucune chance que l’on remonte jusqu’à elle.

Les mois suivant cette affaire furent très éprouvants pour Dorea. Bien qu’il s’agisse de son propre père, elle condamnait fermement cette attaque, tout comme toutes les autres. Brutalement, le mur de convictions que ce père avait bâti chez sa fille s’était effondré. Dorénavant elle y voyait clair et n’avait pour objectif que de protéger son fils. Elle parla de nouveau à Guilherme pour lui faire entendre raison, pour lui faire comprendre que Caleb n’avait pas encore l’âge pour s’intéresser à la magie noire et à ces guerres de sorciers mais le patriarche ne répondit que par la violence. Un soir, alors que Caleb était sur le point d’entrer en quatrième année à Poudlard, Guilherme dépassa les bornes et porta la main sur son fils. Contrainte au silence, Dorea observa la scène impuissante et ne put que rejoindre son garçon dans sa chambre pour le consoler. Elle resta là, des heures à l’écouter pleurer contre sa poitrine. Mais lorsque les larmes du jeune homme arrêtèrent de couler, celles de sa mère se dessinèrent sur son visage. Elle était horrifiée de ce monde dans lequel elle avait grandi. Sa décision était prise : elle ferait tout son possible pour détruire ce système qui perturbait l’équilibre de son monde et qui lui arrachait peu à peu son fils.

Dès lors, elle chercha à se rapprocher des organisations qui pouvaient potentiellement faire exploser la toile qu’était en train de tisser les mangemorts. Bien vite elle entra en contact avec Albus Dumbledore, un des meilleurs sorciers de son temps en qui elle confia toute sa confiance. Elle lui expliqua donc les raisons de ses doutes et son désir de mener les mangemorts à leur perte, sans omettre de mentionner une partie plus sombre de l’histoire : le sort d’amnésie sur cette brigadière du ministère. Bien que le geste fut répréhensible, Dumbledore fut tolérant et la remercia de son honnêteté. Cependant, il lui pria de ne rien révéler sur ses intentions et l’invita à jouer un double-jeu. Dorea était très mal à l’aise dans cette situation mais après tout, n’était-ce pas ce qu’il y avait de mieux à faire ? Ainsi, elle épargnait à sa famille une mauvaise réputation. Pendant près de trois ans, Dorea effectua des missions d’espionnage pour l’ordre du Phénix. Cet équilibre semblait parfait jusqu’à ce qu’une dispute éclate entre son mari et son fils. Les évènements se précipitaient et Caleb grandissait. Guilherme lui menait donc une vie impossible pour le pousser à recevoir la marque des ténèbres. Le jeune homme prit donc ses affaires avec la ferme intention de ne pas revenir. Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis ce départ et ne pouvant supporter cet éloignement, Dorea prit son courage à deux mains et décida d’affronter son mari : « Tu perdrais donc ton propre fils pour ne pas déroger à tes convictions ? » Guilherme lui rétorqua alors des mots qui la heurtèrent tel un avada kedavra en plein cœur : « Et toi, tu crois que je ne vois pas clair en ton petit jeu Dorea ? Tu penses que je suis naïf au point de ne pas comprendre que tu t’es détourné de ton camp et pire, que tu agis à leur compte ? Tu me dégoûtes. » Puis après un silence il ajouta : « Je n’ai rien dit à ton sujet. Il ne manquerait plus qu’un scandale salisse mon nom et celui de ton fils, auquel tu tiens autant. Alors ressaisis-toi. » Guilherme coupa court à cette conversation et quitta la maison. Il ne pensait pas si bien dire. Cela faisait trop longtemps que Dorea se cachait derrière un masque. Il était grand temps pour elle de se révéler au grand jour. Aussi, elle décida de s’émanciper en quittant le foyer familial, ce qui fit entrer son mari dans une colère noire.

Cela fait donc plusieurs semaines maintenant que Dorea a quitté son mari et ne se cache plus. Ainsi, elle agira sans réserve pour défendre son nouveau camp dès que l’occasion se présentera. Cependant, la juriste s’est promis de parler à son fils avant d’agir, ne souhaitant pas le perdre définitivement à cause d’un éventuel malentendu.